Inexploré n°43 | Été 2019 | Le transpersonnel, plongée dans le grand mystère

INEXPLORÉ N°43 Le magazine de l’INREES | Juillet – Août – Septembre 2019

Le transpersonnel, plongée dans le grand mystère

Par Carine Anselme

Voie expérientielle, le transpersonnel mènerait à une conscience élargie de soi-même et de l’univers. Clé de voûte de cette approche, la respiration holotropique provoquerait une puissante « transeformation ». Se déploierait alors une écologie intérieure, source d’apaisement de l’être et du monde.

Dans le chaos actuel, nous avons plus que jamais besoin d’ancrage et de déploiement. De prendre notre destinée à bras le corps, au propre comme au figuré. Or, au cœur de cette société qui manque cruellement de rites de passage et d’initiations, nous cherchons trop souvent des solutions extérieures qui combleraient le vide intérieur, changeraient le cours de nos existences et résoudraient nos problématiques comme par enchantement. De stage en stage, de lecture en lecture, la tendance est au zapping, nourrissant avant tout le mental et l’ego. Pourtant, la vraie transformation est intérieure. Elle exige courage et engagement.

Comme pour toute quête, il s’agit de s’aventurer hors du connu, d’affronter les ombres (obstacles, peurs) et de se relier à plus grand que soi. « Les rites de passage naturels, de type chamanique, faisaient de chaque initié un être vraiment humain, puissant, debout et relié ; non seulement relié de haut en bas et de bas en haut entre esprit et matière, mais également relié du dehors au dedans, de l’intérieur à l’extérieur, capable de tisser sa joie entre le monde visible et invisible », souligne Patrick Baudin, auteur d’un excellent ouvrage, Projet HOME (1), qui pose les bases de son approche transpersonnelle d’écologie intérieure et de médecine originelle (H.O.M.E. étant l’acronyme de Holotropic Original Medicine & Ecology).

Le cheminement initié par l’approche transpersonnelle transformerait notre rapport au monde. De l’édifice intérieur à la liberté d’être, connecté au cœur et relié au « tout », ce (r)éveil nous mettrait sur la voie de la vie. Permettant d’expérimenter un réel retournement : ni happé par l’extérieur ni submergé par le faire ou le brouhaha du monde, on y découvrirait l’être et sa merveilleuse « simplexité » connectée… même s’il arrive, dans les flux et reflux de l’existence, d’avoir besoin de piqûres de rappel pour ne pas perdre ce fil de Soi.

Au-delà du personnel

Telle est l’invitation étymologique du « transpersonnel » qui nous convie à dépasser notre petite personne – son ego, son « sac à dos » lourd de blessures et de traumas. Largement ouverte à la dimension spirituelle, la psychologie transpersonnelle a été cocréée au début des années 1970 par Abraham Maslow, fondateur de la psychologie humaniste, et le psychiatre Stanislav Grof. Elle intègre aux découvertes des écoles de psychologie classiques les données philosophiques des grandes traditions spirituelles, ainsi qu’une étude approfondie des états modifiés de conscience, dont Stanislav Grof a fait une cartographie très détaillée. Qu’ils soient induits par des substances psychédéliques (LSD, ayahuasca, champignons), par des techniques telles que le travail du souffle, ou survenus de façon spontanée, ces états peuvent non seulement jouer un rôle thérapeutique et spirituel (à condition d’être bien accompagné), mais ils élargiraient aussi notre perception de l’espace et du temps.

« Ils sont au service de notre réalité ordinaire. Ils peuvent soutenir notre être-là en ce monde, notre humanité », précise Denis Dubouchet, psychologue et psychothérapeute, auteur du livre États de conscience élargie, psychothérapie et chamanisme (éd. Dervy). Les expériences mystiques, parapsychologiques et les états de transe font donc partie intégrante des champs de recherche du transpersonnel, aux confins aujourd’hui de la psychologie, des découvertes en neurosciences et physique quantique, mais aussi des sagesses et pratiques traditionnelles, chamaniques et autres.

De la conscience de soi à l’inconscient du monde

Dès lors, la psychologie transpersonnelle ouvre des perspectives extraordinaires sur les potentiels de la conscience et intègre les qualités spirituelles inhérentes à l’être humain – une réalité qui va bien au-delà de celle perçue par nos cinq sens. Ken Wilber, l’un des pères de l’orientation transpersonnelle, relie ainsi la conscience la plus intime de l’homme à la réalité ultime de l’univers. « Plus on travaille l’inconscient, plus notre conscience devient claire. Pour certains chercheurs, comme Stephen Aizenstat (Californie), qui étudie notamment les rêves, tous les phénomènes du monde sont expérimentés comme s’ils avaient une intériorité psychique… même nos buildings. On peut ainsi sentir la cohérence de l’univers, où tout est corrélé (animal, végétal, minéral) et vivant », souligne Monique Tiberghien, psychologue et psychothérapeute, fondatrice et ex-présidente de l’EUROTAS (Association européenne du transpersonnel).

Docteur en médecine de formation, Patrick Baudin a, lui, vécu une véritable révolution intérieure en découvrant l’approche transpersonnelle qui permettrait, dit-il, l’accès à notre vraie nature : « Être relié à notre nature personnelle et transpersonnelle permet de faire du ET, à la place du OU. De sortir du tout ou rien. On accède ainsi à la non-dualité. C’est simple : nous n’avons pas le même nez, ni la même histoire, mais nous aspirons tous à la paix, à l’Amour. »

Home sweet Om

C’est à ce plongeon dans le « grand mystère de nos vies » – au gré des convictions de chacun, que l’on peut appeler Dieu, Un, le Tout, l’Énergie vitale, ou la Vie elle-même fondamentalement mystérieuse – que nous convie le Projet H.O.M.E., proposé et encadré par Patrick Baudin. Les soufis ont pour habitude de poser aux initiés « la » question : « Qu’est-ce qui fait battre ton cœur ? » Retrouver cette connexion personnelle, cette reliance transpersonnelle, à travers des expériences initiatiques transformatrices, permet symboliquement de « rentrer à la maison ». Ainsi, se sentir enfin apaisé, en dépit des blessures, des factures à payer et autres cailloux dans nos chaussures…

“ La psychologie transpersonnelle ouvre des perspectives extraordinaires sur les potentiels de la conscience. ”

« Nous sommes bien plus que nos traumas » , tient à préciser Patrick Baudin, qui a longtemps voyagé pour tenter de (se) trouver. « J’ai réalisé que j’emmenais mon “bagage” où que j’aille. Le vrai voyage est intérieur. » Ce processus de retour à soi induit par le transpersonnel ne se vivrait pas au sens d’un retour égoïste sur le petit moi, mais au contraire au sens d’un élargissement, d’un retour à Soi, à l’être conscient et relié qui vit les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. Patrick Baudin a transcendé les peurs et la colère qui ont longtemps maintenu « son cœur fermé », en naissant deux fois… « Lorsqu’il y a 26 ans, je suis re-né à moi-même, j’ai appris que connaître, c’était naître avec – avec le Grand Esprit de l’Univers, n’être qu’un avec Lui. J’ai acquis cette co-naissance de l’expérience d’états de conscience élargis et non ordinaires, vécue dans le contexte de rites de passage. Aujourd’hui, je me sens à la maison chez moi, en moi, et où m’importe peu. Je sens bien que le Home, sweet home est au-dedans de moi, et nulle part ailleurs. Car la véritable sécurité est intérieure, au cœur de l’être. Elle tient en un seul mot : relié. »

La respiration au cœur de la transe

Cette épiphanie, Patrick Baudin l’a vécue le 2 juin 1992, lors d’un séminaire avec Stanislav et Christina Grof. Ce qui lui a permis d’expérimenter l’énorme lâcher-prise, c’est la transe qui s’élève au travers de la respiration holotropique, créée par Stan Grof à partir de pratiques chamaniques, du Kriya Yoga et de ses recherches sur la conscience. Ce jour-là, sa vie entière bascule dans une vision claire et complète du réel.

« Mes orientations se sont redéfinies en quelques heures, ma hiérarchie des valeurs s’est complètement transformée et une vie nouvelle a commencé… » Il s’inscrit alors à la formation de facilitateur en respiration holotropique avec le Grof Transpersonal Training et écrit le premier livre en français sur ce sujet (2). Ritualisée par une pratique en groupe afin d’amplifier le processus, cette méthode d’exploration intérieure a été conçue pour atteindre un état de transe profonde sans recourir au LSD, interdit par la loi. En pratique, il s’agit schématiquement de respirer de façon profonde et longue de manière répétitive. De respirer encore et encore… Des musiques adaptées peuvent soutenir la transe.

« Dans un cadre strictement défini, les participants ont la possibilité d’expérimenter un changement de leur état de conscience, permettant la reviviscence et le dépassement de matériaux tels que : images, émotions, revécus de naissance et gestation, secrets de famille, visions archétypales, inaccessibles dans notre état habituel de veille et de sommeil », précise quant à elle Djohar Si Ahmed, docteur en psychologie et psychanalyste, praticienne de la respiration holotropique et hypnothérapeute, cofondatrice de l’Institut des champs limites de la psyché (ICLP). Les informations les plus nécessaires à l’évolution et à la guérison, bloquées jusque-là par le noyau de souffrance, seraient alors ramenées à la surface. C’est-à-dire à la conscience holotropique qui, comme celle du rêve, n’est pas la conscience vigile.

La vie est mouvement

En respiration holotropique, chacun travaille à son rythme le courage d’aller rencontrer ce qu’il doit rencontrer, ce qu’il peut rencontrer et prend la responsabilité de sa vie, tant personnelle que collective. Il s’agit donc bien d’écologie intérieure. « On peut vite être addict à ses souffrances, les porter comme une croix. Avec la respiration holotropique, qui permet de mettre en lumière ses zones d’ombre, peu importe les traumas, on ne s’identifie plus à cela. On ne survit plus, on vit », partage Julie Moureau. Cette participante aux séminaires de Patrick Baudin propose à présent ce travail de reconnexion. Cet outil transpersonnel serait donc un outil éminemment actuel pour répondre à la crise globale. Contrairement aux substances psychédéliques, la transe est amenée par notre propre respiration (le facilitateur est un accompagnateur de ce qui se passe). « Je tiens à préciser que la respiration holotropique est radicalement et définitivement psychédélique… et, de plus, légale, elle », poursuit Patrick Baudin.

On peut judicieusement faire le pont, ici, avec le travail du psychiatre Olivier Chambon, qui s’intéresse de près aux états modifiés de conscience en psychothérapie. Donc, plus on respire, plus on y va… Impossible, cependant, de faire appel au mental, « ça » passe par le corps. « J’ai vécu des sensations corporelles très fortes qui ont permis la libération de nombreuses barrières qui me freinaient. Ces sensations douloureuses de tétanie cristallisaient beaucoup d’émotions et de peurs refoulées. Grâce au souffle, grâce au cadre, je peux les traverser. Avec la respiration holotropique, on expérimente que la vie est mouvement – dans une même exploration, on traverse un large panel d’émotions, de sensations. Je peux passer de la colère à la plus grande quiétude, de la tristesse à la joie profonde. Pour cela, il faut plonger courageusement dans l’expérience, faute de quoi on bloque le mouvement, on cristallise ce qui est douloureux », témoigne Jules Caspar, 27 ans, qui suit les séminaires de Patrick Baudin et l’assiste, en vue d’accompagner à son tour la respiration holotropique transpersonnelle.

Pudiquement, celui-ci partage que ce travail initiatique lui a « sauvé la vie », après avoir souffert d’addictions, à la charnière entre adolescence et âge adulte. Courantes de nos jours, les addictions et la course à l’intensité masquent ce qui se passe à l’intérieur. « Cette intériorisation et cette connexion à quelque chose de plus grand ont donné du sens à l’existence. À présent, j’ai foi dans le processus naturel de la vie. » Devenu maraîcher, Jules est au cœur de cette magie du vivant.

« L’inestimable cadeau de Stanislav Grof à la communauté humaine est celui d’une confiance retrouvée dans le processus spontané de guérison du corps et de la psyché », s’enthousiasme Patrick Baudin, soulignant que, pour le médecin qu’il est, ce bouleversement conceptuel n’est pas anodin ! Ce changement de conscience s’amplifie dans la société. Aujourd’hui, dans ses séminaires, il y a des médecins, des chirurgiens, mais aussi des juristes, des contrôleurs des impôts, etc. « C’était impensable, il y a encore moins de dix ans », conclut-il.
Hallucinant, non ?!

(1) Patrick Baudin, Projet HOME, écologie intérieure & médecine originelle, Éd. Médicis, 2018.
(2) Patrick Baudin, La respiration holotropique, Éd. Médicis, 2012.

Rentrer à la maison

Expérimenter différentes formes de rites de passage, travailler sur soi, impliquer corps et psyché, faire l’expérience du silence, revenir à sa vraie nature en pleine nature… Telle est l’essence des séminaires initiatiques proposés par Patrick Baudin, conseil en santé et en écologie humaine, thérapeute, docteur en médecine de formation. Les quatre lettres du mot home, maison, ont inspiré l’acronyme du Projet H.O.M.E. :

Holotropic
Ce néologisme créé par Stanislav Grof signifie « qui mène à l’expérience globale du monde vivant, à la totalité, à la complétude ». Le mot nous invite à une vision globale, nous rappelant à notre dimension immatérielle – que l’on peut nommer spirituelle ou bien transpersonnelle –, autant qu’à notre dimension matérielle. H.O.M.E. est donc un processus holotropique.

Original Medicine
Désigne à la fois la médecine des origines (nature et chamanisme), la manière amérindienne de nommer le « pouvoir personnel » (puissance créatrice de l’être), les talents uniques de chaque personne. H.O.M.E. inclut donc racines et traditions ancestrales, afin de nous instruire sur notre « médecine originelle », ensemble de nos qualités uniques, de nos « pouvoirs » et de nos dons particuliers.

Ecology
Évoque le nécessaire travail de purification et de nettoyage que chacun doit entreprendre à l’intérieur de lui-même en priorité et en respectant ses structures et limites, c’est-à-dire son écologie personnelle. L’écologie, c’est étymologiquement le discours sur la maison et la logique de la maison. H.O.M.E. est une formation à l’écologie intégrative, intérieure et extérieure.