Inexploré n°58 | printemps 2023 | Nouveaux thérapeutes : soyez vigilants

INEXPLORÉ N°58 Le magazine de l’INREES | Avril – Mai – Juin 2023

Nouveaux thérapeutes : soyez vigilants

Par Mélanie Chereau

Coachs spirituels, nouveaux thérapeutes, sophrologues ou énergéticiens, ces praticiens dont le nombre explose depuis quelques années en France offrent leurs services sans toujours avoir reçu la formation adéquate. Comment faire le tri dans ce foisonnement de nouveaux gourous et quels sont les risques ?

Des guérisseurs traditionnels aux thérapeutes de tout poil en passant par toute une nouvelle nomenclature de coachs multigenre, aujourd’hui, un Français sur deux a recours à des « accompagnants » de vie et autres soignants, en parallèle des médecins officiels. Mais qu’en est-il de leur formation ? Qui valide leur parcours ? Au bout de combien de stages se mettent-ils à prendre en charge une clientèle plus ou moins regardante ?

Face à l’augmentation frénétique de tous ces praticiens à la petite semaine qui peuvent vider votre porte-monnaie plus rapidement qu’ils ne remplissent vos réservoirs énergétiques, en toute bonne foi pour certains, comment s’assurer d’être entre de bonnes mains ? Non seulement parce qu’il est possible de se faire avoir par quelqu’un sans vraie compétence, mais aussi parce que livrer sa santé, sa psyché, voire sa spiritualité sans être certain de la qualité du thérapeute représente un vrai risque.

Le Dr Patrick Baudin, formateur et thérapeute en respiration holotropique depuis plus de trente ans, s’inquiète : « Symptôme assez clair d’une société qui ne va pas bien : aujourd’hui, dans les milieux “alternatifs”, il est de bon ton de se dire thérapeute, ou d’annoncer fièrement qu’on souhaite se former pour le devenir. Tout le monde veut soigner tout le monde – quand il ne prétend pas le guérir ! – et parfois même malgré lui. L’enthousiasme thérapeutique, tant décrié dans le monde chamanique, semble aujourd’hui à son comble. » Ils sont nombreux, formateurs et thérapeutes installés de longue date, à témoigner d’élèves proposant leurs services après de très courtes formations individuelles et n’ayant pas vocation à entraîner de futurs thérapeutes, et ce, dans de nombreux domaines. Alors, quels sont les principes fondamentaux à rappeler et les mises en garde à avoir en tête lorsqu’on désire consulter ?

Pourquoi cet essor ?

La première tentative d’explication relève de l’observation du fait que notre société occidentale semble un peu en manque de repères, notamment spirituels, mais aussi de propositions de sens, en dehors d’une quête matérielle effrénée. À la question d’une augmentation du nombre de praticiens dans tous les domaines du mieux-être, Carole Moreau, astrologue depuis 30 ans et forte de 20 ans d’expérience dans l’accompagnement, répond de façon très pratique : « Si ça pullule, c’est qu’en face, il y a des gens qui ne vont pas bien. Je pense que là, d’un point de vue pragmatique, s’il y a de la demande, cela amène à une réflexion sur une maladie sociétale, peut-être de notre société occidentale. »

De l’autre côté, tout le monde cherche à aller « mieux », à redonner du sens à sa vie et à se débarrasser de vieux schémas. D’où une surenchère de pratiques alléchantes nous promettant toutes le graal de cette meilleure version de nous-mêmes à laquelle nous aspirons tant. « Et il y a une différence entre le chemin que l’on fait vers soi, notamment à la découverte de ses dons, de ses talents, et devenir thérapeute, ce qui demande une vraie posture professionnelle. Il est possible que les gens se mélangent un peu les pinceaux entre le chemin où ils découvrent quelque chose de puissant à l’intérieur d’eux-mêmes, relié à l’énergie-vie, en connexion avec le monde de notre intuition, de nos ressentis, et l’envie ensuite de partager ces découvertes en devenant accompagnant », expose la thérapeute. Il semble pourtant tomber un peu sous le sens que l’expérience de vie et la remise en cause manquent à l’appel si l’on va trop vite en besogne. « Accompagner les autres, cela passe par un champ d’expériences de vie que l’on a pris le temps de digérer. Et l’on est toujours, d’ailleurs, dans une perpétuelle remise en cause. On parle de supervision chez les coachs, par exemple, mais c’est vrai aussi chez les thérapeutes. Cela nécessite d’avoir nous-mêmes nettoyé un tant soit peu notre histoire. Encore une fois, tout le monde n’est pas fait pour accompagner la personne. Cela nécessite une qualité d’écoute bien particulière », poursuit Carole Moreau.

De l’importance de la formation

Par principe, il est important de rappeler que, pour être psychologue, il faut un diplôme d’État qui s’obtient après trois ans d’université. Celui-ci est souvent agrémenté d’une maîtrise, voire d’un doctorat. Le thérapeute doit suivre de nombreux stages avant de prendre en charge la psychologie de quelqu’un d’autre, sans compter qu’il doit lui-même avoir effectué un travail et être supervisé par un pair pendant toute sa carrière. Bien sûr, malgré tout cela, les diplômes ne sont pas gage de qualité, notamment en psychiatrie, qui requiert encore plus d’études, où les praticiens sont souvent accusés d’être expéditifs, et ne sont pas vraiment supervisés. Mais appartenir à une corporation encadrée, avec une transmission reconnue, peut être rassurant pour certains. Ainsi, les traditions spirituelles se situent aussi dans ces cadres corporatifs permettant un contrôle de ce qui est enseigné comme de ceux qui enseignent. Aujourd’hui, la tentation est justement de s’éloigner de ces institutions qui proposent des accompagnements jugés longs et rébarbatifs, ou exigeant beaucoup d’investissement pour peu de résultats rapides et « magiques » (ce qui semble être dans l’air du temps).

Malory Malmasson, qui accompagne comme thérapeute énergétique depuis une dizaine d’années, notamment en mémoire cellulaire, explique : « Dans cette société de consommation et dans ce monde du soin, les gens ont tendance à se comporter comme des consommateurs, alors que cela demande tellement d’être acteur, de s’impliquer soi, de faire un chemin de guérison ou spirituel. Et beaucoup de thérapeutes un peu légers font des promesses, et c’est ce qui attire les gens. Ces derniers remettent leurs pouvoirs entre les mains de quelqu’un. Ils s’attendent à des miracles. Et de ce fait, il n’y a rien qui change derrière. » Parce que cela exige de retrousser ses manches et, surtout lorsqu’on est vulnérable, de faire attention aux personnes vers lesquelles on se tourne. Mais combien se lancent dans l’accompagnement après des formations très courtes ? Ou des transmissions douteuses ? « Aujourd’hui, dans le reiki, on trouve de tout. Normalement, c’est une transmission qui doit se faire à deux degrés de la source, c’est-à-dire d’un maître authentique qui peut nommer sa lignée directe avec maître Usui. Qui peut prétendre à cela aujourd’hui ? Sans compter que ce sont des énergies subtiles qu’il ne faut pas manier n’importe comment », témoigne Benjamin, un élève formé depuis vingt ans. « On devient maintenant – ou du moins croit-on le devenir – thérapeute ou chamane en quelques week-ends de stage, se permettant d’organiser des consultations ou des sessions de travail sauvages, après lesquelles, parfois, les vrais professionnels, dûment formés et ayant une longue expérience, essuient les plâtres et tentent de rattraper la situation », déplore le docteur Patrick Baudin. Tous ces écueils sont renforcés par l’accès à l’information que fournit Internet, pour le meilleur et pour le pire.

“ Accompagner les autres, cela passe par un champ d’expériences de vie que l’on a pris le temps de digérer. ”

Les sirènes qui alertent

Dans le flot continuel des « enseignements » dispensés sur le web, dont on ne peut vérifier ni l’authenticité ni l’efficacité, et face à la tendance à la vulgarisation dans le but pécuniaire d’atteindre le plus possible de personnes, il faut faire attention. « Il y a cette vigilance à avoir, car il existe parfois une appétence de certaines personnes qui est vraiment l’aubaine de l’argent facile. Une consultation entre 50 et 100 euros de l’heure, c’est rémunérateur. Certains coachs sur Internet peuvent facturer une soirée à 20 000 euros », s’affole Malory Malmasson. Elle précise : « Ma clientèle s’est faite par le bouche à oreille. Et aujourd’hui, avec l’essor des réseaux sociaux, tout le monde a un site web. On peut communiquer facilement, et c’est celui qui a le meilleur marketing qui va attirer le plus de clients, alors qu’en fait, il y a des gens qui sont très bons dans ce qu’ils font, mais qui ont une petite visibilité et à qui on donne parfois moins de crédit. » Cette explosion indéterminée lui a même donné envie de prendre du recul pour ne plus faire partie de cette cacophonie.

Mais ce qui affole le plus d’anciens praticiens certifiés, c’est la prise de pouvoir, l’ubris, la tentation de l’ascendance du « thérapeute » sur sa patientèle. La dépendance qui peut se créer, et l’impression que celui qui « soigne » arrive en sauveur. « L’éthique professionnelle du thérapeute exige qu’il ne se comporte pas en maître à penser. Lorsqu’on est thérapeute, il est extrêmement facile de tomber dans le piège de la prise de pouvoir, étant en position de force et supposé “savoir”, face à une personne en position de faiblesse et en demande », rappelle le Dr Patrick Baudin. De même que « le thérapeute doit assumer l’origine étymologique de son nom, qui est “celui qui accompagne”, et non pas “celui qui guérit” », c’est à la personne de faire son parcours avec ses ouvertures, ses temps de compréhension et d’assimilation. C’est en cela que c’est d’une grande délicatesse, qu’être accompagnant demande a minima une expérience et d’avoir soi-même fait un chemin, tout en acceptant le rythme de son consultant. « Le thérapeute doit se méfier de sa propre envie d’accélérer les choses, de sa volonté d’obtenir un résultat, de la tentation de pousser ou de tirer, alors qu’il n’est là que pour accompagner. Même s’il a compris par l’expérience, par l’intuition, par le raisonnement où la personne était le plus profondément blessée, cela constitue un abus de pouvoir grave que de dire à l’autre que l’on sait où il est le plus vulnérable. C’est le mettre totalement à nu et à la merci de tout abus ou intrusion psychique. Le thérapeute ne doit pas dire à la place de l’autre, même s’il croit avoir tout compris du problème de l’autre. Il doit plutôt se servir de ses connaissances et de son expérience pour aider l’autre à trouver lui-même ses réponses », prévient le Dr Patrick Baudin. Sans oublier le risque de projection par le thérapeute de ses propres problématiques, qui est un transfert enseigné dans les universités de psychologie, mais souvent occulté par ceux qui s’engagent un peu prestement dans la prise en charge de personnes vulnérables. « Il m’est arrivé d’observer, ou bien qu’on m’en fasse le retour, que des thérapeutes vont projeter leurs propres blessures sur les autres. J’en connaissais une qui supposait des abus sexuels chez toutes les femmes qui la consultaient, alors que ce n’était pas forcément le cas », témoigne Malory Malmasson.

Être vigilant au moment du choix

Le maître Baba Ram Dass disait, non sans humour : « La présence du gourou est tout, il est aussi vos impuretés, votre corruption ; il se moque de vous à travers elles, en vous disant “eh oui, ça aussi !”, il est la totale compassion, c’est-à-dire vous rappeler que vous êtes l’Univers. » Un accompagnant d’un niveau certain ne fera pas preuve de complaisance, ni à l’égard de lui-même ni envers celui qui le consulte.

« Le thérapeute est donc un accompagnateur, un facilitateur ; il est là pour aider une personne à trouver elle-même les clés qui lui permettront d’ouvrir de nouveaux passages. Les qualités requises sont : vraie présence et attention, bienveillance et joie de servir, capacité d’accueil et de non-jugement, authenticité, détachement, et bien évidemment, compétences et expérience », souligne le Dr Patrick Baudin. Il transmet quelques points de vigilance pour quiconque est à la recherche d’un accompagnant : demander à un proche des coordonnées, car même si un thérapeute n’est pas bon pour tout le monde et chacun a ses préférences, une recommandation est un gage de sérieux. Vérifier le domaine de compétence en posant des questions au praticien, sur son parcours notamment, et en demandant depuis combien de temps il exerce, car on peut avoir des surprises. Enfin, exprimer clairement son besoin en s’assurant que le thérapeute n’est pas dans un rapport de pouvoir ou de jugement, qu’il s’applique ce qu’il prône ou encore qu’il ne projette pas son histoire. « En tout cas, il s’agit d’écouter ses propres ressentis, et, si l’on ne se sent pas pleinement en confiance, de s’adresser à quelqu’un d’autre. Un certain nombre de thérapeutes ont pour habitude de proposer une première consultation gratuite en guise de prise de contact ; on peut considérer cela comme un bon signe. Il est important de partager ses ressentis avec des proches, le cas échéant », recommande le Dr Patrick Baudin. N’oublions pas que, dans certaines traditions sud-américaines, il faut vivre treize ans dans le noir avant d’être considéré (et non pas auto-proclamé) chamane, ou encore faire des retraites de méditation de trois ans, trois mois et trois jours à renouveler trois fois avant d’être enseignant bouddhiste à son tour. L’humilité et un long chemin au cours duquel on rencontre ses zones d’ombre et les multiples facettes de son ego ne sont pas de trop, avant de se prétendre thérapeute, même si l’on doit par ailleurs toujours se tendre la main avec compassion dans notre fraternité d’humains en chemin.

“ On devient maintenant – ou du moins croit-on le devenir – thérapeute ou chamane en quelques week-ends de stage, se permettant d’organiser des consultations ou des sessions de travail sauvages, après lesquelles, parfois, les vrais professionnels, dûment formés et ayant une longue expérience, essuient les plâtres et tentent de rattraper la situation. ”