Inexploré Podcast | Octobre 2022 | Thérapie de l’âme, avec Patrick Baudin

INEXPLORÉ Podcast | Octobre 2022

Trois Voyages au cœur de la conscience

Un podcast animé par Patrick Lelong

En bref

Aujourd’hui, le cheminement des sciences et celui de nos consciences se croisent, se confondent et parfois se répondent. L’un éclaire l’autre, en particulier lorsqu’il s’agit de vivre et d’expliquer des états de conscience modifiée par une pratique comme la méditation, l’hypnose, l’exploration du lien entre le corps, l’âme et l’esprit.

Dans ce premier échange, nous explorerons le monde du dedans de soi, la méditation, avec Corinne Bagnis, professeure de médecine à la Pitié-Salpêtrière, néphrologue et créatrice d’un programme de méditation de pleine conscience pour les soignants. Dans le deuxième voyage, nous plongerons dans cet autre nous-mêmes que nous révèle l’hypnose avec Antoine Bioy, professeur de psychopathologie à Paris 8, praticien et grand connaisseur des phénomènes de transe. Enfin, troisième rencontre avec Patrick Baudin, médecin thérapeute des âmes, qui invite chacun d’entre nous à découvrir (ou redécouvrir) tout ce que nous sommes dans notre globalité, grâce à une pratique qui puise aux sources traditionnelles revisitées par nos sciences modernes pour vivre l’harmonie avec nous-mêmes et les autres.

Episode 3 : Thérapie de l’âme, avec Patrick Baudin

Patrick Lelong : « Les états modifiés de conscience ou les états de conscience modifiés », la terminologie a son importance, comme on le verra. Au cours de nos deux précédents enregistrements nous avons vu les voies privilégiées, et en tout cas plutôt classiques, de l’accès à ces états modifiés de conscience avec un premier enregistrement sur la méditation, un second sur l’hypnose.

Aujourd’hui nous allons parler d’une pratique plus globale, peut-être plus spirituelle, avec Patrick Baudin. Mais tout d’abord, Patrick Baudin, quelques mots de présentation :

Patrick Baudin : Oui bonsoir-bonjour, je suis Patrick Baudin, je suis de formation médicale. J’ai pratiqué la médecine de réanimation pendant 7 ans, après, des remplacements pendant 7ans également, et puis en 1982, j’ai fait la rencontre de Stanislav Grof à travers un séminaire de respiration holotropique. Ma vie s’est transformée de A à Z à partir de cette expérience qui a été vraiment une expérience d’ouverture spirituelle énorme, d’une ouverture de conscience énorme sur ce qu’est la vie, sur ce qu’est la médecine, sur ce qu’est la philosophie, l’anthropologie, sur tout ce qui pouvait m’intéresser. Tout d’un coup, l’énergie est devenue évidente. Tout d’un coup, je me suis mis à comprendre l’acuponcture, l’homéopathie parce que je faisais l’expérience de l’énergie et que ce n’était pas, ce n’était plus, quelque chose de purement intellectuel.

Patrick Lelong : Effectivement, on peut dire que Stanislav Grof a révolutionné tout ça. Ça vous a particulièrement touché. Vous avez donné un sens. Lui-même, je crois, disait qu’il avait expérimenté les limites de non seulement de la psychiatrie, mais de la psychanalyse freudienne, que tout ça ne répondait pas aux questions et à ce que véritablement nous sommes. Et c’est ça qui vous a particulièrement bouleversé, si j’ose dire.

Patrick Baudin : Ah mais complétement, oui. Étant quelqu’un de particulièrement intellectuel, coincé, tendu, presque insensible, ce qui avait aussi ses avantages dans la pratique de la médecine de réanimation, évidemment, au vu des accidents et des morts. Mais j’étais complétement coincé, archi coincé dans ma tête, et cette expérience a fait exploser une forme de carcan qui a libéré à la fois le cœur, à la fois la pensée et a anéanti pout toujours, on pourrait dire, cette croyance que l’on n’est que dans la matière et que Dieu est un fantasme.

Patrick Lelong : Est-ce que l’on peut parler de bascule dans ce type d’expérience ? C’est-à-dire de passer finalement d’un état, celui de Monsieur et Madame Tout le monde, à quelque chose effectivement de plus profond, de plus bouleversant justement. Ce terme de bascule, cela vous convient bien ?

Patrick Baudin : Oui, cela me convient bien. Je l’emploie souvent parce qu’effectivement, il s’agit bien de se laisser basculer dans quelque chose de plus large, dans une expérience plus complète de la réalité. À une époque, les mouvements sectaires fustigeaient ce langage qui parle de deux réalités mais c’est bien une réalité qu’il y a deux réalités. Il y a une réalité matérielle, palpable, pesable, et une réalité spirituelle, énergétique, qui n’est ni mesurable, ni palpable, en dehors d’être mesurable par un être humain, d’une manière complétement subjective. En tout cas, on peut dire qu’il y a ces deux réalités, c’est très clair.

Patrick Lelong : Lorsque l’on parle d’états modifiés de conscience, qu’est-ce qui est vraiment modifié ? Est-ce que ce n’est pas une facilité de langage pour décrire tout simplement un état profond de relaxation ?

Patrick Baudin : Non, c’est beaucoup plus que cela. On parle d’états modifiés … mais d’ailleurs ce n’est pas une terminologie idéale comme l’a très bien remarqué Olivier Chambon, parce que dans la vie ordinaire, nous vivons dans un état de conscience modifié, du fait que nous sommes trop identifiés à la matière et au psychique, et débranchés de certaines réalités beaucoup plus subtiles. Donc, notre état est constamment modifié, en fait. Et je préfère, comme lui, le terme d’états de conscience élargis qui dit beaucoup plus clairement que le champ est considérablement élargi, le champ de perception est considérablement élargi.

Patrick Lelong : On va garder ce terme « élargi » donc dans la suite de notre entretien. Est-ce que cet état de conscience élargi peut se produire à notre insu ? Ça peut nous tomber dessus, comme ça, un matin en se réveillant, un soir en se couchant ou au milieu de la journée ?

Patrick Baudin : Alors déjà, vous évoquez le coucher et le lever qui sont effectivement des moments où on bascule justement. On bascule dans le sommeil ou on se réveille. Donc, il y a quelque chose de subtil à ce moment-là, qui est un état de conscience élargi. Dans le sommeil, on est dans un état de conscience élargi à l’évidence. On ne sait pas où on est pendant le sommeil. En tout cas, la conscience semble pouvoir partir du corps et vivre ses aventures. Cela peut donc se produire à ces moments-là, au réveil et à l’endormissement, mais bien entendu aussi quand les gens vivent ce que l’on appelle une bouffée délirante, un épisode de schizophrénie aigu. Il y a là une bascule qui se fait de manière spontanée, parce que, à un moment donné, il y a un sur-stress considérable qui fait que la vie dans le corps n’est plus possible. Il y a comme une échappée, comme une sortie dans la conscience pour échapper au corps. Donc effectivement, cela peut se produire spontanément aussi.

Patrick Lelong : Mais est-ce que cela veut dire que finalement tout le monde peut avoir accès à cet état de conscience élargi, à ces états de conscience particuliers ? Il y a certaines personnes souffrantes. Vous disiez la folie n’existe pas au sens classique du terme, mais néanmoins, il y a des pathologies. Il y a des schizophrènes, des bipolaires, des gens dépressifs. Est-ce que ces accès à une conscience élargie ne peuvent pas être dommageable pour eux ?

Patrick Baudin : Alors, cela dépend du cadre thérapeutique, du cadre d’accompagnement. Pour prendre l’exemple de la dépression : pour moi la dépression n’est pas une maladie, elle est une guérison de la surpression. On ne peut pas vivre tout le temps en état de surpression, de stress, et d’hyperfonctionnement. A un moment donné, le corps réclame du repos, de l’équilibre. On fait une dépression parc qu’on a été trop en suppression. C’est exactement comme ce qui se passe dans la météorologie. On n’a pas à faire à une vraie maladie donc respirer là-dedans, vivre la transe et un état de conscience élargi peut donner beaucoup de sens et aider à comprendre pourquoi on a eu une vie si agitée. En général, les gens ont une vie hyperactive et agitée parce qu’ils sont hyper anxieux et qu’ils ont peur d’être mal aimés, peur d’être incompétents, peur de ne pas être acceptés par la société … on s’active, on s’active pour se prouver que l’on vaut quelque chose. Donc, ce n’est pas spécialement embêtant de vivre de la transe et un état de conscience élargi autour de ça, parce que ça permet de prendre conscience de ce qui se passe.

Patrick Lelong : C’est une autre respiration, en quelque sorte. D’ailleurs, vous employez ce terme de respiration et l’une des pratiques que vous mettez en avant c’est la respiration holotropique. Est-ce que vous pourriez nous dire en quoi ça consiste, vraiment ? Et est-ce que finalement ce n’est pas un petit peu de yoga, si vous voyez ce que je veux dire, pour ceux qui sont un peu éloigné de l’exercice physique ou est-ce que c’est véritablement un travail des profondeurs ?

Patrick Baudin : À n’en pas douter, c’est véritablement un travail des profondeurs. Cette expérience, qui s’organise d’ailleurs de manière ultra simple : il suffit d’avoir des accompagnateurs compétents, une motivation claire, un matelas, une sonorisation pour avoir de la musique. Après il suffit d’hyperventiler pour élargir l’état de conscience. C’est extrêmement simple à mettre en place.

Patrick Lelong : Vous parlez d’accompagnement. C’est important ? On ne peut pas pratiquer seul ? Parce que, finalement, un matelas et de la musique, tout le monde en a. On peut être aussi en repos de temps en temps. Est-ce que, par exemple, la lecture de vos deux livres : « La Respiration Holotropique » et l’autre qui est « Le Projet Home » (qui sont tout à fait passionnants et qui expliquent votre démarche et votre pratique) ça ne suffit pas ? Je ne peux pas faire ça tout seul, dans ma chambre ? J’ai vraiment besoin d’un accompagnement ?

Patrick Baudin : Et bien, dans les premières expériences d’états de conscience vraiment élargis, c’est clair qu’il y a besoin d’un accompagnement. Si on visite, dans un état de régression, des histoires d’abandon, des histoires de traumatismes, d’abus physiques ou sexuels, on retourne dans ces états-là. Ces états permettent de vivre dans la conscience à différents niveaux, en même temps. C’est-à-dire, que je suis parfaitement conscient d’être un adulte en train de faire une expérience de respiration holotropique et en même temps, je suis complétement identifié à l’enfant qui est en train d’être maltraité ou qui se sent abandonné. C’est clair que si, à ce moment-là, on est seul encore une fois, ce ne va pas être très guérissant, ni nourrissant. Et puis, il y a aussi quelque chose d’important dans cette pratique, c’est de le faire en groupe. Parce que les différents miroirs qui s’opèrent entre les différents participants, nous donnent une meilleure idée de nous-même. Nous pouvons très rapidement retrouver des facettes de nous-même dans toutes les personnes qui se trouvent là et ça c’est particulièrement riche et réparateur. Cela permet de ne pas s’identifier seulement à une seule facette de soi-même.

Patrick Lelong : Est-ce que pour atteindre cet état de conscience élargi, en dehors de la pratique dont vous parlez, il n’y a pas des aides du côté des substances hallucinogènes, des pétards, etc. ? Ou, au contraire, ça ne sert pas à grand-chose : c’est un raccourci pour certaines personnes pour tenter d’atteindre un état, mais qui n’est pas véritablement ce que l’on recherche.

Patrick Baudin : Alors les neurosciences nous apprennent que nous avons dans nos cerveaux des récepteurs qui sont spécifiques de toutes ces substances psychédéliques en particulier, par exemple le psilocybe – le champignon magique, et en particulier l’ayahuasca, en particulier le peyotl, toutes ces substances-là. Cela dit clairement qu’elles sont là pour être utilisées, ces substances. Et à quoi servent-elles ? Elles servent simplement à nous donner soit un avant-goût, soit à faire un retour sur ce que nous avons connu ou sur ce que nous connaissons de nos origines, au plus profond de nous-même. C’est à dire, que si nous venons d’un monde divin avant de nous incarner, ça nous permet de retoucher, de refaire l’expérience de ça, et de nourrir notre créativité, de nourrir notre foi et notre confiance dans l’existence. C’est quelque chose qui est d’utilité majeure. Alors l’intérêt de la Respiration Holotropique, c’est que c’est une thérapie qui est parfaitement psychédélique mais qui a l’avantage d’être légale et de ne nécessiter aucune sorte de substances puisqu’il suffit d’hyperventiler pour obtenir des résultats parfois très proches. J’ai vu de nombreuses fois des gens en respiration holotropique faire ces expériences absolument superposables à des descriptions d’expériences de LSD, par exemple.

Patrick Lelong : Oui mais on peut atteindre des états de conscience élargis sans avoir recours à ça puisque cela pause des problèmes légaux, etc.

Patrick Baudin : Absolument, c’est pour ça que c’est si intéressant, la Respiration Holotropique. C’est une pratique vraiment révolutionnaire qui peut faire le plus grand de bien au monde simplement en apprenant aux expérimentateurs qu’ils sont bien plus que la matière et le psychique, ils sont plus que le corps et le psychisme, ils sont aussi un être hyperconnecté, interconnecté avec le monde minéral, le monde végétal, le monde animal et bien sûr le monde humain, dès lors que l’on s’ouvre à la relation. En tout cas, les gens font l’expérience que leur être constitue une sorte de résumé, de condensation de l’univers entier. Ce n’est ni plus, ni moins que cela.

Patrick Lelong : Vous êtes d’accord avec Teilhard de Chardin qui disait que l’homme n’est pas un être charnel qui fait une expérience spirituelle, mais un être spirituel qui fait une expérience charnelle. Lorsqu’on remet dans un autre ordre justement ce qui vient d’être dit, cela vous va bien. C’est cela le sens de cette conscience élargie ?

Patrick Baudin : Mais absolument. C’est même l’expérience de ce que Teilhard de Chardin a affirmé avec justesse. On en fait l’expérience. C’est à dire que on le sent dans certaines expériences. Ce week-end qui vient de passer, plusieurs personnes ont fait l’expérience de l’incarnation. C’est-à-dire cette impression particulière de descendre, de descendre, de descendre et de venir loger sa conscience dans un embryon, une cellule. C’est tout à fait extraordinaire comme expérience.

Patrick Lelong : Patrick Baudin, lorsque vous parlez de consciences reliées. Peut se poser la question : reliées à quoi ? Est-ce que l’on est seulement relié à nous même ? Est-ce que l’on est relié à notre inconscient, en tout cas à notre profondeur, à notre autre façon d’être ? Est-ce que l’on est relié aux autres ? Est-ce que l’on est relié à l’univers ? Et de quel univers s’agit-il ? Est-ce que c’est l’univers extérieur, la nature pour employer un terme générique, ou est-ce que c’est un univers onirique qui nous est propre ?

Patrick Baudin : Mais c’est la même chose. Il y a un endroit où ces expériences permettent de comprendre que la pensée, la conscience créent la réalité. Si nous sommes identifiables à l’univers entier et au divin, nous sommes par définition reliés à tout ce qui existe, tout ce que nous pouvons percevoir. C’est prendre conscience que nous avons les minéraux dans nos corps, à travers nos os, nous avons le monde végétal à travers certaines structures comme le réseau vasculaire ou nous poumons, nous avons le monde animal dans notre monde émotionnel, dans notre manière de réagir au monde. Nous avons la capacité intellectuelle et analytique de l’humain et sa capacité à ouvrir son cœur et à partager l’amour … Donc effectivement, nous sommes reliés à tout ce qui est expérimentable dans la conscience.

Patrick Lelong : Dans la richesse de vos pratiques, forcément vous avez des retours d’expériences. Est-ce que certains états méritent que l’on s’y arrête le plus. Qu’est-ce qui a transformé la vie de ceux qui suivent vos stages ?

Patrick Baudin : Ce qui transforme la vie des gens, c’est de sentir qu’ils sont aimés. C’est donc de faire cette expérience que finalement cela n’a peut-être pas tant d’importance que ça que Papa et Maman m’aient désiré. Ce que je constate aujourd’hui, c’est que je suis vivant, cela veut donc dire que la vie veut de moi … Parce que la vie est quand même un mystère. J’aime bien poser cette question aux stagiaires : Mais qu’est-ce qui fait battre ton cœur ? Ce n‘est ni ton père, ni ta mère, ni le médecin, ni le biologiste, ni le physicien. C’est le grand mystère. Donc si le grand mystère te donne un cœur qui bat, cela veut dire que le grand mystère, il veut que tu sois là. Cela veut dire que tu as une place et un rôle à jouer sur cette planète. Voilà ! C’est ça qui guérit les gens. C’est prendre conscience de ça.

Patrick Lelong : Søren Kierkegaard disait que si les hommes n’avaient pas peur de la mort, toutes les églises seraient transformées en salles de bal. Est-ce que véritablement, ce que nous devons affronter, c’est cette peur justement. A priori, on ne sait pas trop pourquoi on est là sauf à rechercher à éprouver. Et puis en revanche, on sait qu’à un moment ou à un autre, cela va s’arrêter. On sait ce que c’est, en tout cas, biologiquement et médicalement, la mort. Est-ce que ce n’est pas cette peur qu’il faut être capable de vivre, peut-être, je ne sais pas, je parle sous votre contrôle, mais en tout cas, d’apprivoiser ?

Patrick Baudin : C’est à ça que servent ces types de pratique, c’est à cela que servent tous les rituels initiatiques depuis la nuit des temps. C’est en quelque sorte, pour proposer de vivre des petites morts pour apprivoiser la mort. Le problème de la mort, c’est le problème de la séparation. Donc ce fantasme de la séparativité, comme certains ont pu le nommer, il est mis à mal par ces expériences-là qui nous montrent que l’on peut être relié à tout ce qui vit. Des fois, les gens vivent des expériences d’amour inconditionnel sans rien faire de spécial, donc simplement en étant là, assis, et vivre son expérience, d’hyperventiler, de voir la conscience qui s’élargie et puis tout un coup se sentir complétement en paix, bien, sans désir particulier autre que celui d’aimer et d’être aimé. Et bien, cela change la vie des gens évidement. Cela donne du sens et ça remplit l’existence.

Patrick Lelong : Bien-sûr, mais revivre ses traumas, on n’a pas trop envie en règle générale, mais est-ce une nécessité pour pouvoir vivre mieux ?

Patrick Baudin : Oui, je dirai que c’est une nécessité pour pouvoir vivre mieux, dans une certaine limite. C’est-à-dire qu’il y a un point de bascule, aussi, où l’on se rend compte que, si on a fini de régler entre parenthèses ses propres traumatismes et que l’on se sent réconcilié, ou apaisé par rapport à ce que l’on a pu vivre de traumatique, on peut aussi être amené à vivre cela sur un plan plus archétypal. C’est-à-dire, vivre le traumatisme du monde, c’est dire vivre toutes les maltraitances vécues par les femmes, par les hommes ou par les enfants. Ça prend une octave supérieure, si vous voulez … donc le travail peut ne jamais s’arrêter. Donc, il y a un point de bascule où on se dit : « Tiens, j’ai visité ça, j’ai visité ça dans ma vie. Là, je me sens mieux avec ça. Et si il y a encore autre chose, et bien maintenant, ça m’est égal. J’accepte. ». Il y un point de bascule d’acceptation de qui on est vraiment, du parcours que l’on a, de l’histoire que l’on a, des parents que l’on a. C’est un deuil qui est difficile, celui des parents parfaits. Tout le monde se sent plaintif d’avoir eu une mère aussi imparfaite ou un père aussi imparfait mais voilà, c’est un deuil à faire. Il est difficile mais il peut se faire. Et à un moment donné, on se dit : « Et bien voilà, c’est mon histoire. Ce sont mes parents. Je les ai peut-être choisis mais, en tout cas, voilà. Cela me mène où je suis aujourd’hui, à avoir réconcilié des choses, à avoir ouvert mon cœur d’avantage, à avoir apaisé mon cœur. Donc tout va bien. »

Patrick Lelong : En paraphrasant, en se moquant un peu de Freud là-dessus, c’est une autre façon de « tuer son père » et de « tuer sa mère » mais là, c’est le faire avec amour. C’est-à-dire, finalement au contraire, s’ouvrir, c’est avoir une relation beaucoup plus large et comprendre que nous sommes à la fois très unis et à la fois tout à fait unique. La vie est quelque chose d’extrêmement merveilleux. La question que je voulais vous poser aussi, c’est : est-ce que vous ne craignez pas dans vos pratiques de susciter une dérive sectaire ? Ou, en tout cas, est-ce que le piège n’est pas là ? Quel rapport vous entretenez avec la liberté de chacun ? Parce que j’imagine, qu’au milieu d’un stage, peut-être que quelqu’un peut dire : « Oh moi, je n’en peux plus ! Je ne veux pas. Je veux m’en aller ! » … Comment ça se passe ?

Patrick Baudin : Et bien à vrai dire, cela dépend de la manière dont on se comporte en tant qu’animateur et en tant que guide. Si on est nourri par des questions égotiques, par des questions de reconnaissance ou une soif de pouvoir, n’importe quelle structure d’organisation humaine peut dériver vers la secte. D’ailleurs, le gouvernement en est un exemple parfait. C’est comme cela que ça se passe. En tout cas, moi, c’est quelque chose qui ne m’a jamais intéressé. D’autant plus que dans ce travail, on passe un contrat avec les gens, de confidentialité, de non-passage à l’acte violent, de respect d’une règle du stop qui fait que personne ne peut abuser personne. Donc on peut faire un travail corporel avec des gens, d’une manière parfaitement saine, puisque c’est sous les yeux du groupe. Au contraire de pouvoir tomber dans une dérive sectaire, ce travail est un tel pourvoyeur d’autonomie et de responsabilité qu’il fait sortir toute personne du contexte victimaire. Cela ne rend plus possible l’action d’un prédateur, d’un gourou, ou d’un pseudo gourou pour dire les choses vraiment … Moi, j’ai beaucoup de respect pour le gourou tel qu’il est conçu en Inde et un immense mépris pour les gourous occidentaux.

Patrick Lelong : Oui, tout à fait. Donc, il n’y a pas jugement. On ne vient pas pratiquer pour juger les autres ou pour être jugé. Est-ce que finalement, cette liberté, c’est un peu, cet étonnement … Vous savez dans la Bhagavad-Gita, Krishna répond à Arjuna qui se trouve sur un cheval, enfin sur un char très exactement. Arjuna est stupéfait de voir les hommes s’entretuer. Krishna, donc Dieu pour aller vite, répond à sa question : « Pourquoi ? » et Krishna dit : « Mais quelle que soit leur voie, c’est aussi ma voie ? » Est-ce que cela veut dire qu’il faut passer par toutes sortes d’expériences, souvent d’ailleurs malheureuses, parfois heureuses, pour véritablement atteindre un degré de félicité, une véritable spiritualité ?

Patrick Baudin : Une chose est sûre, c’est que l’on ne peut pas accompagner des gens qui souffrent sans connaître la souffrance soi-même, ou sans l’avoir connue. Ça, pour moi, c’est assez clair.

Patrick Lelong : Est-ce que juger, ne pas être jugé, morale, pas de morale, je parle là évidemment de la morale restrictive, pas de la morale naturelle… Vous nous avez qu’avec le groupe, il y a un grand respect, en fait, de la possibilité de vivre ensemble, sans qu’il n’y ait à aucun moment, une gêne ou quelque chose qui soit blessé dans l’intime. Tout est public entre guillemets, enfin tout est dans le groupe….

Patrick Baudin : Oui, tout est dans le groupe mais associé à un immense respect, à non-jugement total dans ce type de contexte d’expériences. Il n’est pas question de juger quelque chose comme étant bien ou comme étant mal. D’autant plus que les gens découvrent très rapidement que ce qui est bien à un moment donné peut s’avérer très destructeur à un autre moment, et réciproquement. Le contexte qui fait aussi que ça ne peut pas dériver vers la secte, c’est que les gens sont hautement responsables de leur expérience et qu’il n’y a personne pour leur dire « Tu dois faire si » ou « Tu dois faire ça ». Tout ce que l’on fait, nous, c’est de fournir un cadre sécure, pour que les gens pussent faire une expérience profonde. Donc, ce cadre sécure, ça veut dire confidentialité, pas de violence, pas de sexualité dans ce contexte-là même si l’énergie sexuelle se réveille, respect absolue de la règle du stop et puis aussi, ne pas se barrer sans parler à l’animateur. Voilà, ça, ça fait un cadre et ce cadre, on l’enrichit en disant : « Mais, on n’est absolument pas là pour vous tirer, ou pour vous pousser. On s’en fout ! Ce n’est pas ça notre histoire. Notre histoire c’est d’être comme des sages-femmes et de vous accompagner dans un processus de transformation, de mort et de renaissance. On n’est pas là pour décider à votre place de ce que vous devez vivre. ». Il y a un endroit où moi j’ai la conscience que tout est parfait et donc que quand une personne souffre, c’est bien qu’elle souffre. C’est une nécessité. C’est une expérience qu’elle doit faire. Donc, on l’accompagne là-dedans, avec patience, et avec autant d’amour que possible, de bienveillance que possible, et puis les choses se transforment petit à petit. On ne va pas nécessairement voler au secours de quelqu’un qui pleure. On laisse aussi les gens expérimenter le chagrin. Des fois, les gens n’ont pas pleuré depuis 30 ans et le jour où ils pleurent, ce n’est pas la peine de se précipiter en disant : « Allez, nan, nan ! Arrête-toi, ça va passer ! », ou faire comme les médecins, prescrire un anti-dépresseur pour mettre un couvercle sur le problème.

Patrick Lelong : Vous êtes assez proche de Spinoza, en fait, quand il dit que, finalement, il faut arrêter avec le bien et le mal, et il faut d’avantage penser en termes de bon et de mauvais, c’est-à-dire que nous savons ce qui est bon pour nous et ce qui est mauvais. En revanche, le bon et le mauvais, et le bien et le mal, ce n’est pas la même chose. On passe d’une structure, j’allais dire, justement, morale, avec « ça, on peut faire – ça, on ne peut pas faire » à une structure plus globale « ça, c’est bon pour moi – ça, ce n’est pas bon pour moi ». Je trouve que c’est intéressant de revoir la notion de nature au travers de vos propos.

Patrick Baudin : En tout cas, le bien et mal existent sur un plan moral, ça c’est très clair mais sur un plan cosmique, sur un plan plus général, qui le sait ? Qui le sait ? Moi, je fais partie des hérétiques qui disent et qui n’ont pas peur de le dire que le Diable est au service de Dieu. C’est-à-dire qu’il faut un petit peu de cohérence avec cette histoire du bien et du mal. On nous apprend d’un côté que Lucifer était un Archange donc c’est une créature divine, et puis après on nous dit que c’est autre chose que Dieu. Non, pour moi, c’est une partie du Tout. C’est quelque chose qui joue un rôle, c’est comme le découragement, le doute, tout ce qui est diabolique au sens étymologique, c’est à dire qui sépare et bien, ça fait partie de ce qui nous provoque, ce qui nous met en position instable et qui nous fait rechercher l’unité, la confiance, l’amour. C’est ce qui nous fait sortir de la dualité, justement. Mais bon, voilà, les gens expérimentent dans ces états de conscience élargis le fait d’avoir tout ça, en soi. Et puis, ils expérimentent aussi que plus il y a de lumière, plus il y a d’ombre.

Patrick Lelong : Effectivement !

Patrick Baudin : Tout est parfait, en fait. C’est simplement que nous sommes constamment devant des choix. Est-ce que c’est bon pour moi et bon pour le monde ou est-ce que c’est mauvais pour moi et mauvais pour le monde ? Ce travail développe en fait la conscience écologique à son niveau le plus intéressant, qui est un niveau vraiment spirituel, c’est-à-dire intérieur et spirituel. Les gens, en prenant conscience qu’ils sont reliés à tout ce qui vit on parfaitement conscience que s’ils font du mal à la Terre, ils se font du mal à eux-mêmes, et réciproquement. C’est quelque chose qui est éminemment bienfaisant pour l’humanité.

Patrick Lelong : Alors une dernière question Patrick Baudin… Bien-sûr, on pourrait poursuivre cet échange qui est tout à fait passionnant… Pour la conscience élargie, j’allais dire pour l’avenir, vous me pardonnerez de cette expression, de la conscience élargie à la portée de tous, est-ce que finalement il faut continuer à aller vers cette rencontre, à la fois de la tradition, vous parliez d’états de transe, on peut parler bien évidement de chamanisme au sens sérieux du terme, est-ce que finalement l’avenir de la conscience élargie c’est à la fois ce regard et cette pratique qui viennent d’autres cultures, peut-être d’un autre âge, d’une autre représentation de la société, et en même-temps, des pratiques très modernes, vous parliez des neurosciences, qui nous permettent de voir autrement, aussi, les choses, est-ce que cette symbiose, cette conjugaison, c’est vraiment ça l’avenir.

Patrick Baudin : Pour moi, c’est tout à fait clair que c’est une question d’ordre vital. On n’a pas inventé les états de conscience élargis, on les a simplement supprimés et rendus pathologiques il y a quelques siècles. C’est absolument vital de revenir à ces expériences-là, pour retourner et retrouver un état naturel, notre vraie nature au monde qui est d’être des êtres spirituels et de matières, et pas seulement des gens fait pour consommer et jouir des beautés du monde, et travailler. Non, il y a quelque chose de beaucoup plus vaste. Il y a un grand plan d’amour, pour moi, derrière l’humanité. Comme disait un stagiaire une fois, l’amour a déjà gagné. La lumière surpasse toute forme d’ombre, jusqu’à ce qu’on pense que le soleil puisse s’éteindre. En tout cas, le soleil est la plus belle métaphore de Dieu que l’on puisse trouver puisque ça rayonne sur tous, ça réchauffe le monde, ça donne la vie et puis le soleil brille sur les bons comme sur les méchants, comme certains ont pu le dire.

Patrick Lelong : Absolument. Et bien, en tout cas, c’est un très beau mot de conclusion, Patrick Baudin. Merci de nous avoir permis de comprendre en quoi nous sommes des créatures qui vivons et qui pouvons vivre encore plus un état de conscience élargi pour notre plus grand bien, pour le plus grand bien de chacun, de notre connexion effectivement à nous-même, aux autres et à l’univers. Un grand merci, Patrick Baudin. Merci à vous.

Patrick Baudin : Avec joie. Merci beaucoup.