SANTÉ INTEGRATIVE N°3 Psychothérapie Intégrative | Mai-Juin 2008
Interview du Dr Patrick Baudin : La Respiration Holotropique (RH), thérapie intégrative naturelle
Propos recueillis par Alain Gourhant
Le pouvoir de guérison des états modifiés de conscience est dans l’abandon à un processus de guérison intérieure, spontanée. Ces états permettent de visiter des domaines de la conscience ordinairement oubliés ou inconnus : les niveaux « biographique » de la petite enfance, « périnatal » autour de la naissance et « transpersonnel ». Le Dr Baudin intègre aussi à la RH d’autres techniques.
Alain Gourhant : Vous dites dans votre livre que les états modifiés de conscience ou les états non ordinaires de conscience facilités ou induits par la respiration holotropique sont un outil de guérison privilégié …
Patrick Baudin : Oui. En effet, Grof a créé le terme holotropique pour désigner une sous-catégorie d’états modifiés de conscience qui sont absolument normaux, à défaut d’être ordinaires, et extrêmement profitables en termes de guérison, car ils nous permettent non seulement d’explorer notre inconscient, mais aussi et surtout, de nous abandonner à un processus de guérison spontané du corps et de la psyché.
C’est faire l’expérience au niveau psychique comme au niveau corporel que la guérison s’opère, si on lâche prise de manière à dénouer les conflits et les blocages. C’est la nécessité d’un lâcher-prise mental complet, qui se produit, d’ailleurs, quand on se fait une simple coupure du doigt : on ne se pose pas la question du comment et du pourquoi la guérison va se faire, et pourtant, elle se fait spontanément.
Au niveau psychique, c’est la même chose, mais pour cela, il faut s’abandonner dans ces états modifiés de conscience à une sorte de sagesse intrinsèque, de « guérisseur intérieur », que l’on peut nommer Inconscient, Dieu, Grand Esprit ou bien la Vie.
Ces états holotropiques nous permettent de contacter cette confiance dans le Vie, alors que nous sommes dans une culture où l’on cherche à tout contrôler, une vraie culture de la peur, de la méfiance et du calcul.
Dans le contexte de cette culture, j’ai la profonde conviction de l’importance et de la pertinence de ce type de processus : il y a des moments où c’est tout à fit inadéquat de penser et de réfléchir.
On n’arrête pas un processus de cicatrisation physique en pensant qu’il est temps que ça s’arrête, et on ne gère pas d’avantage la réparation d’une blessure d’amour malheureux en pensant. Ce n’est pas comme cela que ça marche. Les états de conscience holotropiques nous permettent de nous abandonner à « plus grand que nous » et d’observer ce qui se psse spontanément dans le processus de guérison.
Alain Gourhant : Est-ce que l’on peut employer le terme « état de transe » pour ces états modifiés de conscience holotropiques ?
Patrick Baudin : Tout à fait, ces états holotropiques intègrent les états de transe plus ou moins profonds, comme l’hypnose, mais ils sont plus vastes encore. Et le terme de transe a une connotation plutôt négative dans notre culture.
Alain Gourhant : Ces états modifiés de conscience permettent aussi de visiter des champs d’expérience que Stanislav Grof a mis en évidence en renouvelant la psychothérapie, je veux parler des champs du périnatal autour de la naissance et des champs transpersonnels autour de la spiritualité. Pouvez-vous nous parler de ces champs ?
Patrick Baudin : Le génie de Stanislav Grof a été de proposer une cartographie de la conscience qui soit beaucoup plus utiles que celle proposer par Freud, beaucoup trop étroite, et également plus pratique et plus vaste que celle proposée par Jung.
Grof propose quatre domaines de la conscience : le domaine des expériences de franchissement de la barrière sensorielle, qui sont des expériences que l’on fait plutôt au début du processus holotropique : expériences plutôt énergétiques, avec des sensations de froid ou de chaud, des picotements, des visions géométriques n’ayant aucun intérêt sur le plan psychothérapeutique, mais signalant qu’il y a changement d’état ; c’est la première étape.
Après, il décrit le niveau biographique de la conscience qui correspond à l’accès à des informations concernant la vie de l’individu de sa naissance à aujourd’hui ; l’accès à ces mémoires est souvent bloqué en raison de mécanismes de défense mis en place inconsciemment pour se protéger d’un surcroît de souffrance.
C’est-à-dire qu’une personne en état de conscience holotropique peut redécouvrir par elle-même ce que Freud a décrit. Toutes les histoires concernant la libido, les pulsions, le refoulement, les relations œdipiennes, peuvent être réexplorées avec compétence par des personnes ne sachant rien de la psychologie et n’ayant jamais lu Freud. Elles ne font pas que se remémorer leurs expériences de vie, ni ne les analysent, mis elles revivent réellement de manière convaincante et authentique, en particulier toutes les expériences émotionnelles refoulées.
On parle alors de reviviscence. Tout se passe comme si une sorte de radar intérieur allait choisir les mémoires les plus dysfonctionnantes de manière à ce qu’elles puissent réémerger et être retraitées (reprocessed en anglais).
Si l’on prend l’exemple de quelqu’un qui a été battu et qui est resté dans l’impuissance, dans une attitude victimaire complétement gelée, dans une sorte de paralysie motrice et intellectuelle, lorsqu’il va revivre cette expérience, tous les aspects de celle-ci vont être stimulés réactivés, revisités, comme dans l’EMDR d’ailleurs, et ça permet à la personne de revivre la situation consciemment et dans son intégralité ; dans ce contexte spécifique, elle peut exprimer sa colère physiquement et verbalement et modifier sa réponse à l’évènement traumatisant avec son point de vue d’adulte.
Comme dans l’EMDR, c’est de faire une expérience complète et consciente du traumatisme qui est guérisseur
Grof propose quatre domaines de la conscience
Le troisième domaine de la conscience est le domaine périnatal, c’est-à-dire avant, pendant et juste après la naissance.
L’état de conscience holotropique permet de ramener à la surface les éléments de la situation qui ont été mal ou incomplètement vécus et permet de revivre consciemment l’ensemble du processus de naissance.
Le génie de Grof a été de montrer que la manière dont nous sommes nés constitue une sorte d’empreinte de toutes les situations ultérieures de notre vie où nous allons être en crise ou en grand changement. Mais ce n’est pas pour nous en rendre victimes. Au contraire, il s’agit de bien se rendre compte que la naissance n’est pas seulement une empreinte traumatique modélisant les futures crises de la transformation, elle est en même temps l’empreinte de nos ressources extraordinaires de survie : « J’ai vu quelque chose où j’ai failli mourir et je suis là pour en parler, j’ai survécu ».
C’est une empreinte positive autant que négative, si l’on veut. La manière dont nous arrivons dans ce monde est une sorte de défi que nous relevons, ou non. Nous avons le choix de saccager notre vie ou de l’honorer en faisant le ménage, en nous libérant des différentes programmations transgénérationnelles.
Le quatrième domaine offert par ces états holotropiques est le domaine transpersonnel. Là, on rentre dans quelque chose de très vaste, d’illimité, où l’espace-temps se dilate complétement : cela peut être des mémoires de vies antérieures ou des mémoires collectives, des processus d’identification à d’autres règne du monde vivant, comme le règne minéral, végétal, animal.
On rentre alors dans le domaine des expériences chamaniques, quand on s’identifie par exemple à un caillou, à un arbre, à un aigle, à un serpent. On est là dans un domaine au-delà des limites de l’égo personnel, d’où le nom donné de transpersonnel. Ces états de conscience sont extraordinaires, car ils permettent d’acquérir des connaissances par d’autres voies que la voie sensorielle.
Alain Gourhant : Pourquoi ces expériences transpersonnelles sont-elles aussi des expériences de guérison ?
Patrick Baudin : Elles nous guérissent de cette croyance que nous sommes quelque chose de limité à un égo avec son corps et ses fonctions précises, elles nous guérissent de notre croyance d’être différents et séparés du monde vivant dans son ensemble, et notamment de notre dimension spirituelle. On peut faire l’expérience d’être relié à la conscience d’un aigle, alors qu’on croyait ne rien avoir à faire avec cet animal, mais il vient justement nous apprendre à voir plus loin et plus clair …
Il faut lire Stanislav Grof pour voir à quel point ces expériences sont variées, infinies et curatives. Il faut ajouter que ces expériences biographiques, périnatales et transpersonnelles ne se présentent pas dans une suite logique : on peut d’abord être amené à faire une expérience transpersonnelle at ensuite une expérience biographique.
On ne peut pas savoir à l’avance quelle expérience on va faire, c’est l’inconscient qui décide, ou le « guérisseur intérieur ». Pour le thérapeute, c’est extraordinaire, car cela le libère de concevoir quel est le problème le plus important pour la personne.
C’est l’inconscient de la personne et son corps qui viennent dire « là, il y a un problème ! ». Cela rend donc au médecin, au thérapeute, son rôle essentiel, qui est d’être un accompagnateur de la vie, accompagnateur d’un processus complet qui intègre l’aspect physique, psychologique et même spirituel et existentiel d’un problème.
Alain Gourhant : Vous pourriez préciser cette notion importante : « être un accompagnateur », pour le thérapeute ?
Patrick Baudin : Cela veut simplement dire accompagner un processus comme une sage-femme accompagne la naissance : elle doit s’abandonner à un processus qui la dépasse, un processus naturel qui fonctionne, et qui, pour des raisons parfois incompréhensibles, peut dérailler ; là encore, elle accompagne ce qui se passe, mais sans vouloir tout maîtriser.
Le fait de s’abandonner à un processus de guérison du corps et du psychisme remet le thérapeute à sa juste place : on n’est pas en charge des problèmes et de la souffrance de l’autre, c’est à lui de gérer. Mais on peut l’accompagner dans cette gestion, guider un peu les choses, rassurer au moment où il faut, tenir la main pour les passages difficiles, et parfois il est nécessaire de donner un médicament ou d’opérer ; c’est comme cela que je vois les choses.
Il y a cette idée que les thérapeutes doivent apprendre à ne pas être trop actifs et à ne pas se sentir responsable de la guérison de l’autre. Pour cela, il est important que le thérapeute se mette dans une situation où il se lâche, pour découvrir plus profondément qui il est et comment le processus de guérison fonctionne, ce qui conditionne évidemment ses capacités à accompagner le patient.
Alain Gourhant : Cela veut-il dire que vous conseiller tout particulièrement aux thérapeutes de pratiquer le RH ?
Patrick Baudin : Oui, c’est bon pour tout le monde mais particulièrement pour les thérapeutes, leur permettant de ne plus être dans des histoires de pouvoir, de responsabilité ou de culpabilité si le traitement ne marche pas, d’être vraiment recadré dans le processus : j’accompagne, je propose mais la personne « dispose ».
C’est très utile de venir se lâcher, c’est une démarche honnête d’exploration de soi-même.
Tout le monde parle de changer le monde, surtout en termes d’écologie, mais cette démarche holotropique vient nous dire : « le changement cela commence par toi ; plus tu fais le ménage, plus tu te connais toi-même, plus tu es un aidant efficace, un médecin efficace. »
En quelque sorte, il s’agit d’écologie intérieure, et elle conditionne notre capacité à faire de l’écologie « extérieure », environnementale.
Alain Gourhant : Parlons maintenant de vos expériences d’intégration de la respiration holotropique à d’autres techniques ?
Patrick Baudin : Avec cet outil qui est vraiment universel et qui se pratique dans tous les pays (je suis invité en ce moment à faire des formations en Inde), je peux actuellement articuler l’EMDR.
J’ai été formé par David Servan-Schreiber, que j’admire beaucoup, et je me suis aperçu qu’avec ce travail, on navigue dans les mêmes eaux que la Respiration Holotropique. Avec l’EMDR, on fait face au problème, à la peur, au conflit, à ce qui s’est réellement passé. On s’oriente vers l’aspect le plus difficile de la situation en incluant toutes les données sensorielles, on travaille sur les cognitions négatives, puis positives, résultant de cette situation, puis on évalue l’émotion ressentie ; enfin, les mouvements de balayage oculaire viennent aider la personne à faire une expérience consciente du traumatisme sous tous ses aspects. Et c’est très exactement ce qui se passe dans la RH.
Maintenant, en fin de séance de respiration, j’utilise fréquemment le « tapping », qui n’est autre qu’une stimulation sensorielle alternée bilatérale, comme les mouvements oculaires, soit sur les jambes, soit sur les épaules, soit sur les endroits qui paraissent bloqués. Il est tout à fait clair que cela aide la personne à intégrer les différents aspects du problème.
Il s’agit vraiment d’une intégration de tous les éléments du problème (biologiques, physiques, psychologiques, spirituels), et cela en intégrant deux outils différents qui vont dans le même sens.
On peut bien sûr pratiquer l’EMDR seul et je le fais avec des personnes qui ont été abusées physiquement ou sexuellement, c’est déjà très efficace, mais quand il y a une articulation possible entre deux techniques, c’est encore plus intéressant.
Quand avec l’EMDR, des personnes sont trop dans la tête et trop coupée de leur ressenti, il est très intéressant de les faire respirer de manière à activer ce qui se passe dans le corps. C’est d’une pertinence étonnante.
La 2e « articulation-intégration » que je fais, c’est avec l’homéo-psychothérapie du fameux homéopathe indien Rajan Sankaran qui est vraiment un génie de l’homéopathie.
Cet homme questionne ses patients jusqu’ils en arrivent à dire eux-mêmes le nom du médicament. Il va cherche à travers les symptômes la cause la plus profonde du conflit ; par exemple, à bout d’être questionnée de manière insistante et habile, une personne finit par s’écrier : « mais puisque je dis que suis une vraie éponge, j’absorbe tout ! … ». Elle a nommé son médicament : « spongia tosta : l’éponge ». À ce moment-là, le médecin prescrit le médicament que le patient a trouvé lui-même.
J’en tire une nouvelle approche que je nomme l’homéothérapie, qui inclut cette forme de pratique où l’on recherche le simillimum de la situation vécue par le patient afin d’obtenir une stimulation des ressources de l’individu pour résoudre son problème et qui inclut la respiration holotropique. Il s’agit en fait de proposer une technique qui active le conflit par effet « miroir », et qui déclenche le processus intérieur générateur de solutions et d’auto-guérison.
Alain Gourhant : Nous terminons cette interview, alors que nous sommes arrivés au terme de la pratique intégrative telle que je la conçois : non seulement la respiration holotropique, comme nous l’avons vu la dernière fois, est une technique intégrative en elle-même, au carrefour de multiples influences, mais de plus, vous cherchez à l’articuler, à la mettre en relation avec d’autres techniques comme l’EMDR ou cette homéo-psychothérapie venu d’Inde, pour faire une intégration supérieure éminemment créative, dont les effets au niveau de la thérapie sont démultipliés.